Le Représentant Spécial pour les Droits de l’Homme de l’UE est un véritable Houdini de la flemme.

On aurait pensé qu’avec tant de catastrophes assiégeant l’Europe, la Méditerranée devenue un cimetière marin, la crise des réfugiés et l’état désastreux des minorités Rom dans les pays membres, l’Union Européenne dût avoir besoin de l’équivalent d’un Haut Commissaire aux droits de l’homme, comme celui de l’ONU.

Enfer et damnation !… L’Europe dispose, en effet, depuis juillet 2012, voilà six ans déjà, d’un Représentant Spécial pour les Droits de l’Homme : Stavros Lambrinidis (56 ans), ancien ministre grec des Affaires Etrangères (un socialiste, techniquement). L’ex-patronne de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton (elle aussi nominalement socialiste, Labour), lui avait confié ce délicat travail, planqué profondément dans les méandres du SEAE, le Service européen pour l’action extérieure, en lui ordonnant de ne jamais ouvrir la bouche en public. Ou de faire quoi que ce soit, par ailleurs.

Le pauvre Lambrinidis suivit à la lettre les instructions et se fixa la tâche d’accomplir un acte extrêmement exigeant de disparition totale. Pas d’interviews, ni de conférences de presse en six ans.

Après le départ de la baronne britannique Ashton en 2014 et l’arrivée de la socialiste italienne Federica Mogherini à la tête de la diplomatie européenne, notre Houdini est resté obstinément caché, gardant le plus grand silence. Il dispose d’une page Facebook suivie par un peu plus de 400 fans (on pensait que le personnel du SEAE serait plus nombreux que cela), où, deux-trois fois par mois, il poste un communiqué et des photos de lui-même exhibant un large sourire, comme le chat du Cheshire dans Alice en train de fondre dans l’air. Sa page FB nous envoie, pour plus d’informations, vers un site fantôme disparu depuis belle-lurette : http://www.lambrinidis.gr/.

Haut Commissaire UE aux droits de l’homme… J’ai commencé à cibler son silence rugissant il y a des années déjà, à la fin de 2013. D’abord, avec insistance, à travers les services habituels du SEAE et les porte-paroles, tous gênés de devoir le protéger. Impossible de trouver un numéro de téléphone, j’ai donc creusé pour dénicher son adresse email, enfouie profondément dans un fichier PDF sur le site web du SEAE.

En tant que journaliste accrédité auprès de l’Union Européenne à Bruxelles, je lui ai écrit pour la première fois le 13 février 2014, sollicitant une interview. Bien entendu, je n’ai jamais eu de réponse, même après avoir renvoyé plusieurs fois le même message.

J’ai continué à envoyer des sollicitations, au fil des années, puis récemment j’ai fini par lui faire parvenir directement une série de questions. Encore une fois, nada. Rien de rien et je suis sûr qu’il ne le regrette même pas. Silenzio stampa, comme disent les Italiens, même si le ton de mon message était très amical. J’écrivais en essence :

Cher M. Lambrinidis,

«Étant donné que nous n’avons pas encore eu de vos nouvelles, laissez-nous vous poser un certain nombre de questions que nous aimerions soumettre à votre attention.

– Qu’est-ce que vous considérez être votre plus grande réussite depuis que vous avez pris vos fonctions en juillet 2012? 

Puis quelques questions simples :

“- Comment votre bureau s’occupe-t-il de la crise des réfugiés? – Quels sont les moyens à votre disposition? Personnel, expertise, budget dont vous devez rendre compte. – À quelle cadence soumettez-vous des rapports sur vos missions?

– Qu’avez-vous fait pour résoudre les nombreuses questions soulevées par la situation des minorités rom en Europe? “ 

Bon, il s’est sûrement senti piégé ici, se doutant parfaitement que nous savons qu’il n’a jamais dit ou fait quoi que ce soit sur les problèmes des Roms.

Puis: “- Considérez-vous que, compte tenu des développements mondiaux, votre bureau de Représentant Spécial pour les Droits de l’Homme gagnera en importance?”

Bien sûr, cette dernière était ce qu’on appelle une “question fermée”, du genre de celles que les journalistes évitent de formuler, vu qu’elle peut être balayée par un simple “oui” ou “non”… Mais il aurait au moins pu répondre à celle-là. C’était une main amicale que je lui tendais. J’attends toujours.

J’avais résisté à l’envie de lui demander des détails sur son salaire. On me dit qu’il gagne autant qu’un Commissaire Européen, c’est-à-dire autour de 20.000 euros par mois. Ce qui n’est que juste pour quelqu’un qui est aussi, d’après son CV officiel, “professeur émérite à l’Institut Marioupol de l’Université de Donetsk”… oui, vous savez, cet endroit en Ukraine où il se passe une crise humanitaire et où une guerre fait rage, comme on l’écrit dans le journalisme de qualité. C’est à dire quelque chose dont il aurait dû s’occuper.

English version here:

The astounding vanishing act of Stavros Lambrinidis