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L’alchimie est avant tout un yoga “tantrique” occidental qui nous est fourni sous des formules cryptiques et poétiques, l’équivalent des mantras érotiques des Orientaux, moins imaginatifs et plus directs.

Le but de ce yoga occidental c’est d’obtenir l’orgasme sans perte de liquide séminal. A la longue, ce liquide est censé fermenter, se transformer, et amener le corps de l’Adepte à la perfection et à l’immortalité.

 Au XVIII-ème siècle, l’alchimie poétique était le passe-temps favori des savants et hommes de lettres de tout poil. Il n’y a pas de grand nom, de Descartes à Leibniz, en passant par Newton, qui n’ait flirté avec l’Art Royal. L’alchimie était poésie et symbolisme à la fois. Même à ceux qui n’y croyaient goutte, l’alchimie offrait un vocabulaire et une symbolique, des possibilités infinies de jouer avec la langue.

Le cas le plus typique est celui d’un Bénédictin, Dom Antoine-Joseph Pernety, auteur d’unDictionnaire Mytho-Hermétique et d’un recueil de Fables Egyptiennes et Grecques expliquées.

Personnage fascinant, qui avait prononcé ses voeux à seize ans, qui était devenu herboriste pour échapper à sa jeunesse irrémédiablement terne, qui avait voyagé au Brésil et en Patagonie, en tant qu’aumônier de l’expédition de Bougainville qui allait mener à la découverte des Malouines. Il avait essayé d’aller au Pôle et avait passé seize années à Berlin comme bibliothécaire du Roi de Prusse.

Il ne s’était jamais plié qu’à moitié devant l’Autorité, fût-elle celle de l’Eglise, et qu’à trois quarts devant celle de l’Esprit.

Il n’avait tiré aucun gain de cette indépendance.

Durant ses heures de loisir, il avait écrit des dictionnaires d’occultisme, véritables recueils de recettes érotiques codées sous un vernis de terminologie alchimique. 

Ce qui ressort clairement, à la lecture croisée de ces ouvrages, c’est que le but de l’alchimie c’est d’abord le perfectionnement du soi et du corps et l’obtention de l’immortalité physique par le biais d’une série de techniques dont la plus efficace pourrait s’avérer la rétention séminale. C’est tout un yoga occidental qui nous est  ainsi fourni sous des formules cryptiques.

Tout est codé et les mots utilisés recouvrent le plus souvent d’autres réalités: ainsi la pierre philosophale, le résultat final de l’alchimie, c’est bien le corps parfait, créé à travers les procédés connus (nigredo, albedo, rubedo) mais c’est un corps concret, une pierre bien palpable, c’est le corps de l’Adepte qui devient ainsi lumineux et immortel. On se rappelle ici la formule saisissante de Rabelais: “Je ne bâtis que pierres vives: ce sont hommes.”

Le but, donc, de ce yoga occidental c’est d’obtenir l’orgasme sans perte de liquide séminal. A la longue, ce liquide est censé fermenter, se transformer, et amener le corps de l’Adepte à la perfection et à l’immortalité.

A la différence des Orientaux, Dom Pernety et les alchimistes qu’il cite mettent l’accent sur l’excitation purement mentale. Ils ne connaissent pas les postures physiques et le contrôle de la respiration. Ils pensent sans doute qu’il serait faux de croire que l’obtention de l’immortalité puisse être rendue possible par le contrôle de la respiration, qu’elle puisse dépendre de la manière dont on fait entrer l’air dans les poumons, comme si le Créateur n’eût rien trouvé de plus sensé. Comme s’il pouvait trouver quelque intérêt à la régularité des inhalations des humains. Sans parler du fait que les galériens, de par l’uniformité de leur besogne de rameurs, devraient tous faire partie des Bienheureux et des Immortels. En outre, il y eut des alchimistes poitrinaires dont la respiration était rien moins que régulière et dont les efforts aboutirent néanmoins.

Quels sont les indices qui nous montrent que la matière de l’Oeuvre est le liquide séminal et que les procédés de la transformation sont purement mécaniques? (Car il faut préciser qu’en l’absence d’une compagne l’Adepte peut s’échauffer tout seul, mentalement, échauffer sonfourneau à la main pour amener la pâte à la perfection.)

Il s’agit donc de ce que la médecine de l’époque appelait des manustuprations. C’est pour cela qu’on dit de la matière première de l’Oeuvre qu’elle est…à portée de la main.

La semence, on le sait, vient de toutes les humeurs du corps et elle nous est transmise par la moelle. Platon le savait déjà. C’est la substance la plus précieuse que nous possédions en nous et il ne faut surtout pas la gaspiller.

De cette liqueur, les Alchimistes disent que “séparée dans les testicules, elle passe de là par un canal assez long dans les vésicules séminales et est constamment repompée par les vaisseaux absorbants et, de proche en proche, rendue à la masse totale des humeurs”. (Tissot, L’Onanisme, Lausanne, 1779)

Cette liqueur -Matière Première- est aussi appelée “écume de la Mer Rouge” et “graisse du vent mercuriel”, “humide” ou “baume radical”, une “eau sèche qui ne mouille pas”, mais Dom Pernety avoue, dans son dictionnaire, qu’en fin de compte les Philosophes lui donnent tous les noms, y compris “chien d’Arménie” et “crachat de lune”.

La semence est soumise, dans son vase, à une chaleur putrédinale constante. Cela veut dire que l’excitation de l’Adepte doit être permanente, et c’est là qu’intervient la délectation morose, la luxure sans appétit, la débauche contrôlée. Le tout c’est de prendre garde à ce que la matière ne se refroidisse.

Mais ce n’était même pas si osé que de croire cela. Il y avait d’autres théories, peut-être moins défendables, mais plus belles. Comme celle de Cohausen qui, dans son Hermippus Redivivus (Londres, 1777) attribue des vertus régénératrices à la respiration des jeunes filles.

Cette haleine, dit-il, nourrit et restaure. C’est donc une sorte de vampirisme sexuel, tel celui dénoncé par Van Gulik dans son livre La vie sexuelle dans la Chine ancienne.

Et Cohausen de nous rassurer que même la respiration des vaches est rafraîchissante. Après cela, il s’emporte contre les criminels garde-malades qui recueillent dans leur mouchoir les derniers soupirs des mourants “pour les plus horribles des motifs”.

Malheureusement, parlant de ces “évaporations balsamiques” des vierges, qui font noircir les cheveux et repousser les dents, Cohausen ne nous dit pas si cela fonctionne aussi lorsque la jeune vierge aurait mauvaise haleine.

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Cf.

“La projection”, roman érotico-alchimique – un teaser de deux chapitres…

https://cabalinkabul.com/2014/10/05/la-projection-roman-erotico-alchimique-un-teaser-de-deux-chapitres/